Et de deux!!! Encore un petit texte...
Pour information :
Yûshô signifie "victoire" en japonais, Keigan c'est "perspicacité", Ai c'est "amour", Umi c'est "mer" et Chimoku c'est "silence"...
DERNIER ACTE
La nuit venait d’ouvrir sa gueule béante pour dévorer les centaines de cadavres qui gisaient dans la plaine de Sekigahara, et l’herbe se teintait de rouge à force d’absorber le sang des tués. Dans l’obscurité et les corps immobiles un homme se leva lentement. Son armure portait de nombreuses traces de sang, pas celui du soldat qui la portait, mais de tous les combattants qu’il avait vaincus. A sa main, sa lame semblait avoir perdu la vie qui l’animait durant les combats et avec elle, l’éclat surnaturel du métal au soleil.
En cette nuit sans lune de 20 Octobre 1600, le katana de Yûshô, Keigan, ne semblait plus être qu’une simple lame de métal froid et distant alors que durant la journée, il avait été une arme pleine de la chaleur de la vie qu’elle prenait aux ennemis et de détermination. Yûshô ôta son casque et perdit son regard au milieu des morts. Amis, ennemis, cette nuit il n’y avait plus de camps. Comme lui, d’autres samouraïs se relevaient après avoir achevé leur dernier ennemi de cette première journée de combat, et observaient la scène. Qu’ils soient du clan Tokugawa ou de celui d’Ishida, comme Yûshô, aucun des hommes ne dit mot, d’une part par respect vis-à-vis de ceux qui avaient péris, et d’autre part à cause de la fatigue. Lentement, chacun rejoignit son campement mais Yûshô passa au milieu des corps sans vie pour voir qui ne rentrerait pas ce soir. Au milieu des cadavres, il trouva celui de Umi, un ami d’enfance avec lequel il avait appris le maniement du katana. Il s’agenouilla ensuite auprès de Chimoku avec qui il partageait sa tente au campement. Celui-ci ne parlait pratiquement jamais et uniquement après avoir pesé ses mots ; et ce soir, le silence allait être plus gênant qu’ l’habitude. Yûshô se releva en emportant le katana de son compagnon d’armes qu’il rendrait à sa famille et après quelques pas, il s’immobilisa, stupéfait. Au milieu d’un groupe de cinq ou six corps, un jeune homme gisait. Ai avait atteint quelques mois plus tôt ses dix-neuf ans. Il n’était que gentillesse, dévouement et amour, comme son nom l’indiquait. Les corps autour de lui semblaient montrer que, malgré son absence d’expérience, le jeune homme avait réussi à tuer plusieurs adversaires. Une larme coula sur la joue de Yûshô. Le champ de bataille était vide de vie et de bruit, alors qu’il s’agenouillait à côté de Ai. Il avait eu la charge d’enseigner au jeune homme quelques astuces pour le grand jour. Mais après quelques jours au camp d’entraînement, il avait découvert les immenses qualités de son élève et un lien d’amitié les avait enchaînés. Lentement, le samouraï ferma de sa main les yeux encore ouverts de Ai qui fixaient, vides, le ciel. Il avait regardé la mort en face. Il saisit ensuite le corps inerte dans le but de le ramener au quartier général. Ses parents avaient le droit de pouvoir l’inhumer avec les honneurs qui revenaient à leur fils. Son père avait le droit de récupérer son armure qu’il avait donné à Ai et de la garder pour la vénérer. Yûshô commença à marcher vers les lumières des tentes.
Soudain, sortant de nulle part, cinq hommes apparurent autour de Yûshô. Ils étaient vêtus de kimonos noirs et leur visage était caché par un tissu de la même couleur. Seuls leurs yeux perçants étaient visibles. Avant que le samouraïs ne pu réagir, ralenti par le corps de Ai, l’un des ninjas lui asséna un coup sous lequel il s’effondra, inconscient. Deux des hommes saisirent du corps immobile et le groupe disparut aussi vite qu’il n’était arrivé. A quelques centaines de mètres du campement Ishida, le cadavre de Ai resta à jamais. Personne ne vint le chercher. On déclara Yûshô mort au combat bien que plusieurs hommes assurèrent l’avoir vu en vie et que son corps ne fut pas retrouvé sur le champ de bataille. Cependant, dans une tente du clan Tokugawa, le samouraï reprit ses esprits. Il ne savait pas où il se trouvait et comment il était arrivé là. A son grand étonnement, il constata qu’on lui avait enlevé le haut de son armure et attaché au poteau central de cette tente. Deux torches diffusaient une vacillante lumière dans la pièce. L’un de ses agresseurs le surveillait, à sa gauche. Un peu à sa droite, sur une commode, Keigan attendait patiemment le retour de son propriétaire, sa lame renvoyant les rayons de lumière qui la frappaient. Yûshô comprit rapidement. Les ninjas n’avaient pas été envoyés par Ishida pour le ramener au campement, mais ils l’avaient capturé pour le compte du seigneur Tokugawa. Quelques instants plus tard, la toile de la tente s’écarta et trois personnes entrèrent. C’était deux soldats et un homme que Yûshô devina être Ieyasu Tokugawa, en voyant ses cheveux coiffés avec soin, son armure d’excellente qualité et son regard. Un regard plein de détermination, d’envie de victoire et empli du sentiment du juste, comme celui de Ai. Le chef de guerre fit signe au ninja de quitter la pièce. Puis les quelques heures qui suivirent furent les plus dures de toute la vie de Yûshô. Tokugawa commença, sur un ton détaché, à lui refuser l’honneur de la mort, il avait trop besoin d’informations. Les deux samouraïs qui l’accompagnaient ricanaient. Puis il avoua sa surprise et sa fierté d’être le seul homme qui ai jamais vaincu Yûshô, car ce dernier n’avait encore subit aucune défaite au cours de ses nombreux combats. Il s’accroupit devant Yûshô et calmement, lui posa des questions sur les forces d’Ishida, sa tactique, son état d’esprit. Yûshô ne dit rien. Il ne faisait pas parti de l’état-major et donc ce qu’il savait, Tokugawa le savait aussi. Mais il y avait bien ce qu’on lui avait dit, un soir, au camp d’entraînement. Une lueur s’alluma dans son œil à ce souvenir, qu’il tenta de cacher. Trop tard, les yeux perçants de Tokugawa avaient noté le changement. Il abandonna son ton moelleux et devint plus violent en paroles. Il se redressa, commença à marcher en lançant des phrases, telles des poignards, qui s’enfonçaient dans le cœur du prisonnier. Les deux autres hommes le frappaient quand il ne voulait pas répondre, et au final Yûshô se retrouvait toujours frappé. A un moment, le chef ennemi arrêta ses questions pour entamer un monologue sur le plaisir que l’on a, lorsque l’on est prisonnier, à se donner la mort, la liberté et la paix de l’âme que cela procurait. Puis, désintéressé, il quitta la tente avec ses deux hommes de main, le ninja reprenant sa place de geôlier. Et cela se répéta. Tokugawa revenait, lui posait des questions tandis que les deux autres le frappaient, avant de déclamer un éloge du suicide puis de se retirer. Entre chaque interrogatoire, poussé par les arguments de Tokugawa, Yûshô sentait l’envie de s’ouvrir le ventre avec Keigan grandir. Au début, il regardait son katana avec dégoût, mais au fur et à mesure que le temps et les interrogatoires passaient, il était envoûté par les reflets de la lame, la fixait intensément et finit par ne plus penser qu’à elle et au moment de sa délivrance. Le dernier interrogatoire arriva, le soleil allait pointer à l’horizon et les combats reprendraient en ce 21 Octobre 1600. Le champ de bataille était empli de l’odeur des morts, une odeur de pourriture due à l’humidité de la nuit.
Il se passa presque comme les autres : mêmes questions, même monologue, mêmes coups, mais Tokugawa semblait certain de sa victoire. De plus, on avait détaché les mains de Yûshô. Au moment de partir, l’un des samouraïs les rattacha mais, étrangement, les liens furent plus lâches à cet instant, comme s’il avait oublié de les serrer. Yûshô fit mine de ne rien remarque mais quand tous furent partis, aucun ninja ne se présenta pour le garder. Sans hésiter, Yûshô se libéra et se leva. Mais au moment de s’enfuir, il fut pris d’un grand doute. Il avait le choix entre partir d’ici et alerter son seigneur et perdre son honneur, et en finir ici et garder son honneur sauf. Keigan l’appelait. Il saisit son katana et prit quelques secondes pour réfléchir. La lumière solaire retirait lentement le voile de la nuit et le murmure des chocs des armes et des armures montait de la plaine. Yûshô se tourna en direction du soleil, se mit à genoux. Keigan brillait de sa lueur la plus surnaturelle qu’il ait jamais vu. Le soleil se levait sur la plaine de Sekigahara où les troupes de Tokugawa écrasaient les dernières résistances féodales et achevaient la réunification du Japon, alors que celui de Yûshô s’éteignait se matin.